Atelier d'écriture !
Vous avez dit atelier d'écriture !
Mais que fait-on aux ateliers d'écriture et qui sont ces gens qui les fréquentent ?
Mystère et boule de gomme !




Aux ateliers Mot à Mot, les auteurEs fabriquent leur écriture. Et signent des textes littéraires d’un genre inédit, improvisés dans un élan de créativité et de performance; des textes vierges de séduction éditoriale ou de préoccupations commerciales.
Ici, vous découvrirez un travail de qualité qui ne doit pas rester clandestin. Vous rencontrerez des auteurEs, des styles qui s’inscrivent dans la diversité des ateliers.

21 avr. 2011

Sophie

Impudente et redoutable, sans concessions avec elle-même et le monde qui l’entoure, Sophie Coste Clérico siffle avec les mots et persifle. Elle est à l’écrit ce que Bretecher est à la BD. D’une tonalité percutante, elle écrit des textes vrais, hilarants et pathétiques. Avec des saillies qui ne nous laissent pas indemnes.  

Voici  « Des hamsters et des hommes », un fait divers authentique revu par Sophie Coste qui est aussi journaliste et mère de trois bambins.



Des hamsters et des hommes

RTL : Le 7 Juin 2007 à 7h15.   
Le directeur de rédaction est assis sur le bureau et balance ses jambes en cognant de ses talons l’angle de la table à intervalles réguliers. C’est exaspérant. Il est exaspérant. Ils sont tous exaspérants les journalistes en salle de « rédac », comme ils disent. D’ailleurs c’est d’un ton exaspéré qu’il lit la dernière dépêche AFP :
« Hier soir un homme d’une cinquantaine d’années et son compagnon ont été admis aux urgences de la Salpêtrière à l’unité de brûlures sévères. Le compagnon de l’homme, Kiki Frazer, a expliqué à l’équipe médicale en place qu’ils avaient pratiqué un jeu sexuel qui cette fois a mal tourné.
À l’aide d’un speculum obstétrique, il a  écarté les parois de l’anus de son partenaire, puis lui a enfoncé dans le rectum le tube central en carton d’un rouleau de Sopalin. 
L’homme a lancé « À l’abordage ! », signifiant à l’autre que le jeu pouvait commencer. Il a alors introduit dans le tube un hamster. 
Quelques minutes plus tard, l’homme a crié « Rentrez le pavillon » pour que le jeu prenne fin. 
« Après coup craquer l’allumette a été ma grosse erreur, mais j’essayais seulement de récupérer le hamster », a déclaré Kiki Fraser.
Ce dernier a donc craqué une allumette afin de repérer le rongeur en pensant que la lumière pouvait l’attirer. La béance de l’anus associée à des gaz résiduels a provoqué un appel d’air et un violent retour de flammes a jailli du tube embrasant sur le champ les cheveux de Kiki et le brûlant très  sévèrement à la figure. La combustion a par la même incendié le pelage de la petite bête qui à son tour a enflammé une poche de gaz un peu plus loin dans l’intestin, propulsant le rongeur à l’extérieur comme un véritable boulet de canon. L’impact du petit animal  a littéralement fracturé le nez de Kiki Fraser.  
Son compagnon est actuellement en soin intensif, la paroi intestinale calcinée au second degré. Son état est préoccupant. »

Dépêche Agence France-Presse (Source : Los Angeles Times)

- « Juliette c’est pour toi, tu t’en occupes… »

*

QUINZE JOURS PLUS TARD.

- « Putain Juliette, qu’est ce tu fous ! Je te rappelle qu’on a obtenu l’interview en exclusivité ! C’est une star maintenant ! Il t’attend en salle de réu ! Allez hop hop hop ! » 
Dans la salle de réunion, le hamster tourne en rond l’air anxieux. Il est en compagnie de son attachée de presse. Il est encore plus petit que je ne l’avais imaginé. Son pelage est en effet bien altéré. Je ne peux m’empêcher de compatir en constatant son état ravagé.
- Bonjour Popeye. Je peux vous appelez Popeye ? 
- Oui.
- Si vous êtes d’accord, je vais enregistrer l’interview…
Il jette un œil à l’attachée de presse qui opine. 
- OK.
- Vous souhaitez une mangeoire avec un peu d’eau et quelques graines ? 
- Non merci ça ira, j’ai encore quelques réserves, dit-il en plaçant son long doigt griffu à l’intérieur de sa bouche. Il tire sur la commissure et l’incroyable élasticité de sa joue m’offre le spectacle d’un garde manger rangé comme un frigo : les pelures de carottes en bas, au milieu quelques petits broyats d’insectes, en haut, les céréales.
- Ok, alors on peut commencer. (Je sors le dictaphone et appuie sur REC…)
- Tout d’abord pourriez-vous vous présenter pour nos auditeurs qui ne vous connaissent pas encore…
- Je suis un hamster nain de la race des « Phodopus Roborovskii », je descends d’une grande lignée de la province du Shaanxi en Chine. Là bas on nous appelle les « Mi-Tsang-Er » ce qui signifie stoker du grain. 
- Il y a deux semaines, vous vous êtes retrouvé au centre d’un fait divers qui a fait réagir en masse l’opinion et soulève actuellement nombres de polémiques. Vous viviez avec deux hommes et participiez à leurs jeux sexuels… Pour rentrer dans le vif du sujet, si je puis dire… La dépêche AFP stipule que « cette fois, le jeu a mal tourné ». Cela signifie donc que cette pratique était courante ? 
- Bien sûr, tous les hamsters le font. 
- Pourtant votre communauté semble vous fustiger ? 
- Oui. Et je le regrette amèrement. J’ai reçu des témoignages insultants, parfois violents. Les hamsters sont très durs avec moi. Mais c’est de l’hypocrisie pure et simple ! Si on devait renvoyer tous les hamsters qui pratiquent ce genre de choses, croyez moi, il y aurait beaucoup de cages vides. Il ne faut pas stigmatiser. Certains feraient bien mieux de balayer le fond de leur cage plutôt que celle du voisin. La critique, art aisé, se doit d’être constructive, je ne fais que reprendre les propos de Boris Vian et sans vouloir faire pédant, j’ajouterai que certains feraient bien mieux de se taire. 
- Vous étiez donc totalement consentant ?
- Parfaitement. Et c’est pour le dire haut et fort que j’ai accepté de vous accorder cette unique interview. Nos relations ne se limitaient pas qu’à ça. Ce serait très réducteur en effet car s’il y avait beaucoup de désir, et de caresses, il y avait des moments de réflexion, d’échanges d’une grande intelligence. Donc ce désir s’exprimait par les caresses comme la pensée par le langage, ce n’est pas moi, c’est Jean-Paul Sartre qui le dit.
 - Vous semblez très cultivé… 
- Je n’ai aucun mérite. Vous savez, mes amis tapissaient ma cage de journaux, ils sont abonnés à plusieurs revues littéraires, Books, Lire, Le Magazine Littéraire… Philosophie Magazine, alors forcément ça aide. Oui j’ai pissé et déféquer sur de Grands Hommes !
- Le rapport médical stipule que les analyses de « vos amis » ont révélé des traces de stupéfiants. Vous confirmez ?
- Ce soir là, ils avaient les narines aussi chargées que les joues d’un hamster sauvage une veille de HLD. 
-    HLD ? Qui signifie ? 
-    Hibernation Longue Durée. 
-    Ils prenaient souvent de la drogue en grande quantité ? 
-    Parfois. 
L’attachée de Presse tapote nerveusement la pointe de son stylo sur la table : 
- «  Next ! On change de sujet ! »
- Avez-vous pressenti que les choses allaient mal tourner ? 
- Je n’ai pas compris immédiatement le coup de l’allumette. Le souci c’est que nous, les hamsters Roborovskii, avons un champ de vision extrêmement court contrairement au Campbell ou à l’Hiver Blanc. En revanche, nous avons un odorat surdéveloppé, j’ai donc capté assez vite que ça sentait le gaz et le brûlé. J’ai immédiatement effectué un demi tour, mais les flammes ont jaillies à l’intérieur du tube de Sopalin et je me suis retrouvé prisonnier de ce brasier. C’est à cet instant que j’ai moi-même pris feu et que l’appel d’air m’a propulsé à l’extérieur. 
- Justement, Sopalin a décidé de faire de vous sa nouvelle mascotte et de vous décliner en logo. L’opinion crie au mauvais goût qu’avez-vous à répondre à cela ? 
- Dans un monde régit par l’argent, le profit et la sur médiatisation du trash, je ne vois vraiment pas qui ça pourrait choquer. Je répondrai à mes détracteurs et aux objecteurs de conscience qui eux-mêmes profitent du système, et une fois de plus, pardonnez moi de citer des grands hommes mais à la manière d’Anatole France, je dirai : « J’ai des ennemis et je m’en vante. Je crois les avoir mérités. »   
- Justement, en parlant de profiter du système… Demain vous allez vous laissez filmer lors de votre tonte…
- Je souhaite simplement par cet acte significatif et engagé, montrer que je n’ai pas le statut de victime que l’on me prête depuis deux semaines. Je suis tout à fait libre et responsable de mes actes ! 
- Vous avez tout de même accordé l’exclusivité télévisée au plus offrant… Vous mettre en scène de cette manière, vous ne trouvez pas ça un peu trop Britney Spears ?
L’attachée de presse fulmine :
- Next ! Hors sujet ! Il vous reste deux minutes…
- Pour conclure quels sont vos projets d’avenir ?
- Je travaille sur un projet de téléréalité avec une grande boîte de production. Six hamsters et six hommes enfermés dans une énorme cage, avec grandes roues, labyrinthes, toboggans et piscines…Filmés 24/24h… Ça va faire le buzz… 
- Merci Popeye. 

20 avr. 2011

Djenane

Une écriture entre chien et loup : Djenane écrit si bien ces heures indécises où il ne fait plus tout à fait jour ni tout à fait nuit. Des mots parfois échappés du Liban, charnels souvent, sensuels toujours, des mots qui croquent des silhouettes et des rues. Et des sentiments en bordure, tout près de la rupture. On s'y love, on s'y plaît. (D. Marchand)

Ecoute-moi


Viens ! Ne dis rien. Commençons l’histoire à l’envers. Laisse nos coeurs se rencontrer. Ecoute! Laisse nos regards se dire, nos mains se parler, nos corps s’atteindre dans cette alchimie si rare entre deux êtres. Les corps parfois se reconnaissent. Ecoute nos souffles se parler sur le même rythme, nos lèvres se séduire, nos regards se pénétrer.
Accepte nos mutismes gorgés de mots si bien déchiffrés par nos corps.
Des mains s’entrelacent, deux bouches s’effleurent, des lèvres  s’embrasent, deux corps s’étreignent, vierges de toute mémoire, de toute douleur. Impose le silence à tes souvenirs et ne laisse pas les mots s’insérer dans cette communion des corps. Prolonge cette alliance sans maux, sans ces mots trop vite dits, interprétés et scellés par nos mémoires, qui finissent par gangrener les unions. Laissons tout entier nos deux corps dialoguer et se dire encore et toujours.
Les paroles viendront plus tard confirmer ce que nos corps ont su écouter tout de suite, ou alors, les mots ne viendront pas.
Restera alors le souvenir de deux êtres mis à nu, sans secrets et sans mensonges, deux êtres vierges de toute souffrance de la trahison des mots.

Viens ! Ecoutons ensemble les silences qui ne sont pas des blessures, les non dits qui ne laisseront pas de cicatrice.


Une parenthèse dans la nuit


Nous nous donnions rendez-vous à l’angle de la rue de Seine devant ce café qui abritait quelque fois nos rencontres. 
De loin, il m’arrivait de lire dans son regard l’inquiétude. Raide comme un piquet, les deux poings enfoncés dans son jeans, il cachait son malaise. Déjà, je savais. Je savais que  le temps qui nous avait séparé avait saboté les passerelles qui le reliaient au reste du monde.
Ces jours là, immanquablement, il me disait : viens ! Ne restons pas là. Je t’emmène de l’autre côté.  Et nous nous perdions dans les rues de Paris. Je ne connaissais rien de lui en dehors de nos rencontres. Ou si peu de choses. Il racontait, par bribes. Je reconstituais, comme je l’imaginais, ce que pouvait être sa vie en dehors de moi, dans cet espace temps dans lequel je n’existais pas. 
J’étais sa résidence temporaire, une bulle dans la nuit qui éclaterait au lever du jour et le rendrait à sa vie. Il était ma force vive d’un instant.  J’aurais voulu accepter, comprendre, me nourrir de ces nuits tendres et éphémères et le laisser repartir, sans colère, sans en demander plus. Pour lui, fusion d’un moment, pour moi, un interstice que j’aurai voulu infini. 
Au petit matin, un baiser furtif au coin de la rue de Seine, un au revoir peut-être sans lendemain, un premier métro, et, un texto : merci pour cette belle nuit avec toi.
Ces matins là, la terre perdait ses couleurs, son relief. Je retrouvais le vide.



1 avr. 2011

Carnassière


 
PRESENTATION DE L'AUTEURE

Barbara Albeck, un style, celui de l’esthétique. Subtile, intellectuelle et littéraire,  l’auteure travaille les mots, mais jamais gratuitement. Véritable matière qu’elle cisèle , les mots prennent sens, provoquant de violents ou savoureux échos. Lacan s’y retrouverait avec bonheur dans ce style « barbarien ». auteure à suivre . Joelle Guillais


Barbara la baroudeuse met la barre haute et aime les changements de cap ! Master de psychologie, marketing alimentaire, architecture, écologie, tout la nourrit. Mais quoi qu’elle fasse, ses mots la suivent. Pas rancuniers et même un peu maso, car cette Princesse des mots tordus n’aime rien tant que malmener à la baguette ses sujets, verbes et compléments avec un rare barbarisme. Prolixes, polysémiques, polyphoniques et prosélytes, ils ont des zèles.Commentaire de Myriam Rubis

Carnassière  

Au sang, jusqu’au sang, je l’ai mordu, mordu jusqu’au sang, envolé mon sang-froid, fait gicler son sang tiède à cause de ma mâchoire-étau et de mes incisives plantées dans le tissu pour lui trouer la peau, la peau de l’avant-bras tirée à quatre épingles sur le muscle bandé qui voulait me tenir à carreaux.
Mordu à cause d’un ta gueule et d’une porte claquée, lui parti prendre l’air, moi pris les escaliers pour pleurer à la dérobée, liquide d’avoir été régurgitée, rejetée, jetée tout court puisque je l’ai mordu quand il est revenu, au sang quand il m’a rattrapée, folle d’être retenue de force après le sentiment d’avoir été crachée.
Tu me fais chier, laissée seule contre tous à l’intérieur porte fermée dans la maison des autres à peine apprivoisée, contre tous si gentils mais beaucoup trop ensemble et moi intimidée, puis seule aussi dans ses bras forts, serrés, prisonnière impossible puisqu’un instant avant brutalement congédiée, pour lui déjà tout oublié, souhaitait juste la paix mais j’ai brandi l’épée.
A défaut de pouvoir m’enfuir j’ai tranché dans le vif musclé du sujet et croqué la chair tendre qui se risquait à me bercer, j’ai voulu lui faire mal comme il m’avait blessée, lui au cœur, moi au sang, mot pour mot dent pour dent, enfoncées dans le bras pour qu’il lâche son étreinte en sentant sur sa peau mes sauvages empreintes.
Echouée dans le jardin loin de cette boucherie j’ai repris mes esprits, pensé éberluée alors c’est vrai je suis tarée, réévalué la scène dans la fumée de cigarettes les unes après les autres nerveusement allumées, pour une simple dispute j’avais perdu la tête, retroussé les babines et découvert les crocs, la folie dans le sang, depuis toujours prête à bondir au lieu de se faire oublier.
Il m’a rejointe en se tenant le bras meurtri pour lâcher un paquet de ruptures à peine enrubanné, puis m’a claqué la porte au nez en me laissant avec le chien qui, à cet instant-là, a commencé à aboyer. Et la rage est revenue plus violente, tellement brutale et empressée que mes jambes se sont mises à frapper.  
J’ai cogné l’animal, encore longtemps après que la pauvre bête battue et cassée s’est couchée à mes pieds, et puis la honte et la tristesse ont obstrué le vide laissé par la colère. Le regard au loin, au très loin du dedans, j’ai repeint mon amour en sombre avec le rouge coagulé, ajouté au tableau un peu de violacé volé aux hématomes en train de s’ébaucher, plongé dans le dégoût suscité par mon œuvre, et deviné alors les sirènes de la police qui venait me chercher.
Douze fois j’ai dû promettre d’avaler mes cachets, et de surtout ne jamais jamais plus arrêter de les prendre.