Atelier d'écriture !
Vous avez dit atelier d'écriture !
Mais que fait-on aux ateliers d'écriture et qui sont ces gens qui les fréquentent ?
Mystère et boule de gomme !




Aux ateliers Mot à Mot, les auteurEs fabriquent leur écriture. Et signent des textes littéraires d’un genre inédit, improvisés dans un élan de créativité et de performance; des textes vierges de séduction éditoriale ou de préoccupations commerciales.
Ici, vous découvrirez un travail de qualité qui ne doit pas rester clandestin. Vous rencontrerez des auteurEs, des styles qui s’inscrivent dans la diversité des ateliers.

23 mars 2011

Frédérick

Frédérick est directeur d'une société commerciale, enseignant et amateur d'écriture. Dans un emploi du temps chargé, il peut écrire ce texte qui ne manque pas de brio sur les ateliers d’écriture, avec en creux les échos de préoccupations politiques très actuelles.


Commissaire des mots

La nouvelle est tombée ce matin du Ministère de l’Intérieur : « Des contrôles seront effectués dans les ateliers d’écriture. Toute résistance est inutile. »

Il était temps que ces mesures drastiques soient mises en place, croyez-moi. Il y a trop de laisser-aller, de laxisme dans ces ateliers, et ça fait un moment que ça dure !

L’investigateur de ces contrôles, c’est moi. Je suis « Haut commissaire chargé de la cadence des mots ». La bienveillance de l’ancien gouvernement, c’est terminé !

Je vais tout planifier, tout normer, tout contrôler, ces ateliers d’écriture seront désormais le monopole de l’Etat, ces écrivains publics seront payés avec les deniers publics, finies les 35 heures des mots à demi-réfléchis, je lance la grande réforme pour l’augmentation des cadences de chaque écrivain.

Les auteurs seront désormais notés par leurs animateurs chaque trimestre et les rapports seront remis à mes services. Il faudra impérativement avoir des idées originales, écrire des textes rythmés, passer la barre des 10000 mots mensuels, utiliser un vocabulaire soutenu, bref j’exige du productif, du concret.

La nouvelle réforme sera mise en place dès la rentrée prochaine, des suppressions de postes seront planifiées, les écrivains publics décrépits seront mis à la retraite d’office. Place aux jeunes ! Nous ne pouvons plus faire face à la concurrence des pays émergents, nous sommes trop lents, trop râleurs, trop tire-au-flan.

Quoiqu’il arrive, je mènerai jusqu’au bout cette réforme du mot juste et percutant, des ateliers productifs et rentables, des écrivains ambitieux.

Moi, Haut Commissaire chargé de la cadence des mots, je mettrai les écrivains au pas !

19 mars 2011

Marie Anne

Marie Anne est contrôleur de gestion Et sa seconde vie, c’est écrire. Elle s’est greffée en deuxième année. Et nous a épaté tant elle a produit. Se cherchant. Se découvrant. Son registre est large. Difficile de résister à l’humour littéraire fort bien joué de Blues au bocage ou au charme esthétique de L’âme y r(ev)oir. C’est tout simplement génial. Retrouvez l’auteure sur le blog des petites annonces amoureuses, un art littéraire : http://petites-annonces-amoureuses.blogspot.com/

Blues au bocage

Vous êtes un cornichon. Tout seul dans votre bocal. Ou bien en compagnie d'un petit grelot tout blanc, tout mignon, tout rond. Vous baignez ensemble dans un océan d'amertume acide. A moins que vous n'ayez choisi un horizon plus sucré, dans une ambiance russe. Sans doute à vos pieds, quelques grains de cette épice qui fait tout le poivre de votre vie,
Imaginez vous cornichon, craquant, croquant, ferme et tendre à la fois. Souple et dressé. Turgescent. 
Pensez à votre colocataire en ces lieux. Elle - ou il - selon votre goût, est là. Que faites-vous ? Tentez-vous un rapprochement timide ? Oserez-vous ses courbes, sa douceur contre votre tige ligneuse ? L'effeuillerez-vous gentiment, savourant le plaisir de la découverte, ou bien avec ardeur pour atteindre au plus vite sa fragrance essentielle ? Ou bien laisserez-vous ce tiers traitre au palais, mais dont la saveur si particulière a le pouvoir de vous emporter, s'immiscer entre vous ? Le sieur Estragon apportera t-il du piment à votre duo sur canapé, ou ne représentera t-il qu'un obstacle ? 
A vous de voir. Tant de possibilités s'ouvrent à vous : choisissez, soyez !
Sur ces mots, le coach nous abandonne la scène. A moi et aux quatre autres participants à ce cours d'improvisation théâtrale. Un bref instant de flottement pour eux, un grand moment de solitude pour moi. 
Comment leur dire ? Je ne peux pas jouer au cornichon. Qu'ils me traitent de tous les noms s'ils le souhaitent, qu'ils me vilipendent, me taxent de rabat-joie, de fainéant de l'imaginaire ; qu'ils m'encouragent, me cajolent, me bisouillent, rien n'y fera : je ne peux pas. 
Comment jouer ce que l'on est depuis toujours ? C'est là ma malédiction : je suis un cornichon. Un vrai de vrai. Par les deux bouts. De la naissance jusqu'à ma mort, je suis, je resterai un cornichon. Pas mon choix, une fatalité. Parce que j'ai vu le jour dans la ville des Sacres, comme mon père et ma mère avant moi, je suis condamné à être un cornichon toute ma vie durant. Qu'importe si mes errances me portent en terre de Graal ou dans les îles Vierges : je ne puis y échapper. Là où d'autres sont angevins ou florentins, flirtent avec les étoiles ou les muses, je ne suis au mieux qu'un échappé du bocal, un vulgaire avorton, moitié de fantasme inabouti d'un cauchemar de jeune fille. 
J'aurai voulu être un concombre.

L’âme y r(ev)oir

Curieusement ce n’est pas lorsqu’il se fait tout petit et que je le tiens au creux de ma main que je l’apprécie le plus. Ni même lorsque l’affaire est dans le sac et qu’il m’accompagne partout où les pas me portent. Certes, cela me convient de savoir qu’à tout moment je peux compter sur lui, mais ce n’est pas là l’essentiel.
Chez moi, il ne se contente pas de rester à l’entrée, il s’infiltre aussi dans ma chambre, pousse même l’outrecuidance à envahir la salle de bain. 
Il n’y a guère qu’au bureau qu’il me laisse un peu d’intimité. Et encore ! Il m’accompagne dans l’ascenseur et me quitte alors pour aller vers d’autres horizons. Promis, il me retrouvera aux toilettes pour un rapide coup d’œil. Jeu de séduction, lieu de sédition incongru : je me reflète en lui et qu’importe que sa peau soit tavelée ou parfois grêlée de quelques tâches disgracieuses. Je l’adore lorsqu’au hasard des rencontres il prend de l’ampleur : grandi et carré, habillé de cuir clouté à la cordouane, il offre sur ma personne son regard sans complaisance, tantôt flatteur tantôt cruel. Dans les moments de doute je le scrute de mes yeux sombres cherchant au fond de mon âme son assentiment. Suis-je bien ? ses yeux sont miens et je m’y reflète à l’infini. Seul, il a le courage de me renvoyer à moi-même sans concession. Et lorsque nous jouons il travestit mes traits, mes formes jusqu’à l’obscénité.  
Objet du quotidien, il est là, Psyché timide prête à tout pour conquérir Eros. Qu’il se brise et ses éclats sèment le malheur pour sept ans. De réflexion, qui sait ? mais sans y croire. Je ne veux pas risquer de le perdre. Pas un jour sans lui, il me rassure, tout à la fois familier et intransigeant : que voulez vous ? j’ai besoin de lui pour me sentir prête … ou pas, à affronter le monde. 
Et dans le secret de mon âme je lui donne son véritable nom : l’Amiroir. Car lui seul est toujours sincère.  

Myriam Rubis

Prolixe, étonnante, débordante, Myriam Rubis fait claquer les mots. Elle nous étourdit parfois jusqu’au ravissement, nous malmène. Celle qui, avant de venir à l'atelier , a été interprète, puis assistante dans la dans la banque a du souffle et du style.  Poétesse ou crieuse, elle n’a peur ni de dire ni de transgresser. La littérature prend tout son sens avec ses mille et un textes qui rélèvent du conte ou de la littérature engagée.

OVERDOSE

On l’a trouvé au petit matin camé cramé refroidi sur une bouche de métro des Champs Elysées. Bien achevé, troué de partout. Ses bras nus à coups de seringue, sa belle gueule noire d’un coup de talon aiguille entre les deux yeux. Ca lui en faisait un troisième, parfaitement rond. Plus que fini, au-delà. Vertigineux. Mais c’était pas ça qu’on voyait en le regardant.  Ni les trous, ni le rouge sur le noir. C’était son sourire au-dessus. Pas gêné par la mort, le sourire. Déployé, en vol, en bras d’honneur à la camarde. Indifférent à la logique des choses.
Au milieu des vitrines et des gens bien léchés de partout, un manque de discrétion pareil, sûr que ça ne pouvait pas passer inaperçu. Alors très vite, il y a eu un attroupement tout autour. De filles surtout, aimantées par ce sourire, cette manifestation de printemps sur l’avenue des morts vertueuses. Ca donnait une impression de bonheur absurde malgré le sang et cette puanteur, parce que sûr que c’était pas le genre à se laver souvent, y’avait qu’à voir ses vêtements raides de crasse,  mais non, ça les décourageait pas, elles étaient là agglutinées comme des mouches à miel. Les policiers, arrivés comme il se doit sur les lieux, avaient beau faire, elles ne décollaient pas. Evidemment, ils auraient pu user un peu plus fermement de leur autorité, mais quelque chose les retenait, quelque chose d’inexprimable pour un cerveau de flic même noir pour compenser, quelque chose comme de la crainte ou du respect pour ces yeux ronds des filles qui encerclaient le mort. Et des garçons aussi, car il y en avait, mais avec un genre. Un genre à sentir des trucs en silence, un genre féminin purement masculin. D’ailleurs, personne ne disait rien. Même les filles. C’est le sourire qui parlait pour tout le monde. Bavard il était, incontinent, débordant de choses qui ne se disent pas. Ca sortait de lui en ondes concentriques, ça irradiait, ça ensoleillait, ça brûlait aussi, quelque part dans la poitrine, ça clouait mais ça allégeait en même temps, comme si c’était les attroupés qui se vidaient par ce sourire. Les policiers étaient perturbés. Ils voulaient faire leur travail, parce que ces gens-là ont le sens du devoir en unité de temps et de lieu, de leur fonction de représentants du commerce de l’ordre et d’effaceurs du désordre. Et c’est pas toujours facile, faut pas croire, de rengainer ses inspirations en dégainant son aspirateur de technicien de la surface publique. Mais là, rien à faire, ce coup d’éclat de sourire, ça les gênait terriblement, alors ils faisaient semblant en attendant les pompiers. Comptaient sur eux pour nettoyer les éclaboussures de bonheur sur leurs chaussures, leurs pensées, leur routine, et il leur venait des idées de pré, de coquelicots et d’amour éperdu. Ils n’avaient pas l’habitude, ça se voyait à leur air hébété, emprunté à un autre. Mais les pompiers n’arrivaient pas à cause des embouteillages sur les Champs-Elysées, et l’attroupement féminin au sens large s’épaississait. Il y avait même une grande blonde chanelisée, accessoirisée et parfumée qui se penchait de plus en plus sur la puanteur et le sourire, à contre-sens, rebrousse-Guerlain, ça ne ressemblait à rien. Les autres regards tentaient de le lui exprimer mais ça ne l’atteignait pas. Elle se rapprochait, se rapprochait, ça aurait pu déraper quand tout à coup une petite vieille, si petite que personne ne l’avait remarquée, l’a poussée doucement en disant d’une voix minuscule mais sans réplique « Age before beauty ». La blonde, ça l’a scotchée, elle était trop bien élevée pour résister. Et la vieille en a profité. En deux temps trois mouvements, elle était sur le sourire, agenouillée, son visage tout contre. Elle est restée là à le contempler, à le boire par ses yeux qui rajeunissaient, longtemps. Et puis elle s’est mise à marmonner quelque chose comme : « Alors te voilà. Enfin. Mon unique. Mon pour toujours. Tu as pris ton temps mon saligaud, et tout le mien. » La blonde et les autres auraient voulu la dégager du soleil, elle se prenait pour qui la vieille à l’accaparer comme ça, mais quelque chose les retenait. Quelque chose qu’ils ne savaient pas nommer et qui les effrayait. Un truc démodé en tout cas qu’eux ne se seraient jamais permis. Faut vivre avec son temps. Chacun le sien, sinon quoi merde où va-t-on ? Tout se mélange et il n’y a plus de repères. Ils en étaient là de leurs réflexions jalouses quand soudain, au milieu de toute cette paralysie, elle a osé, oui, elle a osé ce qu’aucun autre n’aurait fait, même pas la blonde. Elle a posé ses lèvres ridées sur le sourire et elle l’a avalé. Cul sec. Ca a fait une éclipse. Plus que du noir et du froid autour. Mais la vieille, elle, elle s’est mise à briller. Son petit corps tout recroquevillé sur celui du camé est devenu phosphorescent. Tout le monde s’est pétrifié.
Et puis un flic s’est secoué la stupéfaction de dessus le paletot et s’est approché tout doucement, avec encore des idées de coquelicots dans la tête. Il l’a touchée, à peine, respectueusement. A constaté qu’elle était morte. Partie. Envolée. Avec son unique, son pour toujours, et avec celui qui le lui avait rendu dans son dernier sourire. Surdosé d’amour.


Ode à la fesse masculine

La première chose qu’elle avait vue chez lui, c’était ses fesses. Un éblouissement. Un bouleversement. Et une interrogation, parce que jusqu’à ce jour d’entre les jours, s’il était une chose à laquelle elle négligeait de prêter attention, c’était bien le postérieur masculin. A l’instar de beaucoup de ses congénères de sexe équivalent, elle avait l’impressionnabilité globalisante avec quelques points de repère des plus classiques : Les mots, les mains, les yeux. 
Dans le cas qui nous occupe, l’intéressée eut été bien en peine de dire la couleur de ceux de l’intéressant. En revanche, le galbe, le rebondi, le décroché reins-fesses, ce tremplin délicat vers la rondeur virile, suggérant plus que révélant le muscle nerveux tapi dessous, le maintien ferme et élégant en toutes circonstances, jamais atténuantes de cette fierté d’être, rien de tout cela n’échappait à son admiration, au sens étymologique de « regarder vers » car elle n’en pouvait détacher le regard.
C’est devant le distributeur de boissons de l’entreprise qu’elle avait succombé à son enchantement fessier. Oui, parce que pour récupérer son gobelet, il avait dû se pencher légèrement et cette infime inclinaison du buste avait positionné son séant au cœur du champ visuel de la distraite, autant dire dans le champ visuel de son cœur. La chose advint à son insu, comme toutes les choses d’importance. Car lorsque pour la première fois on voit en l’autre ce qu’on n’y cherchait pas, il y a fort à parier qu’on l’y a trouvé. Tout ce qu’elle sut d’abord, c’est qu’il lui fallait plus souvent qu’avant se rendre à la cafétéria. Tout ce qu’elle sut ensuite, c’est que le café était moins bon hors la présence de l’idéale fesse. Puis enfin rassurée sur la pérennité de l’objet, car le destin malin ne cessait de l’offrir à ses yeux étonnés, au détour d’un couloir, d’une réunion, d’une pause, elle osa explorer son environnement. Rien ne détonnait : Les bras, les yeux, les mains étaient à la hauteur. L’admiration vraie souvent suscite l’admiration, rien n’advient par hasard. Leurs yeux, leurs mains, leurs bras bientôt se rencontrèrent.

Maya


Maya E.K est née à Beyrouth. Elle a 33 ans. Ici, elle est en exil. Portfolio manager dans un grand groupe d’assurances, elle gère d’importantes finances. Se sent responsable.  Et revendique de donner du sens à ses écrits. Elle n’aime pas les excès de l’esthétique littéraire et cherche le mot juste pour taper fort comme avec ce texte grave qu’il faut lire car il traduit de nouvelles pratiques qui doivent être dites au plus vite. 


DE MASQUE EN MASCARADES

Le plafond baisse d’un cran. Je retiens quelques larmes mais laisse échapper un gargouillis hystérique. Il martèle des mots durs, inacceptables : angoissée, obsessionnelle, bipolaire. Sa manière de prononcer mon prénom m'insupporte, en appuyant exagérément sur le 'i'. Stéphan'i'e. Le reste de ses paroles se noie dans un tumulte intérieur. La colère monte, irrépressible. 'La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’allumettes' l’affiche placardée partout dans le métro me vient encore à l'esprit. "Du lithium". Petit con. Les yeux fermés, je l'imagine mort. Comme ça, là tout de suite. Hop ! Une crise cardiaque. J'appellerais les secours mais il serait trop tard. Il resterait affalé sur le sol du bureau où il débite ces horreurs.
"Vous avez besoin d’aide Stéphan'i'e."
Quatre vingt euros la séance. Pour m'entendre dire que je suis folle. Tarée. Pas normale quoi ! J'ai trop cuit dans le ventre de ma mère, je suis une composition chimique mal dosée. Les larmes jusque-là contenues s'en donnent à cœur joie. On commence à me regarder de travers dans la rue. Bipolaire! S'ils savaient, ils partiraient tous en courant ! Je suis pourtant normale merde, mène une vie ordinaire. D’accord, je courais dans les correspondances du métro à l'époque de Mathieu, pour le rejoindre plus vite mais, et alors ? Si on aime intensément, alors on est fou ? Problèmes de motivation au boulot, d'intégration dans la société. Pardon, pardon, si je ne saute pas de joie a l'idée de trimer quarante ans pour payer un "deux pièces". "Deux pièces" qui finirait par me servir de cercueil, alors que j'aurai perdu ma vie dans le néant d’une entreprise, à promouvoir de la lessive en poudre. Merde alors. Les personnes qui prennent ce type de médicaments sont en général schizophrènes, paranoïaques ou enfermées quelque part. Pas moi, pas moi
Ce salaud me croit folle. Il me condamne sans appel. Pourquoi ? Qu’est ce qui lui en donne le droit ? Un bac plus 4 ? +5 ? +10 ? Petit chauve appliquant une doctrine arbitraire dictée par ses livres de psychologie dans le secret espoir de m'emprisonner dans une case. Parce que je ressens des émotions XXL quand seuls les sentiments fadasses sont tolérés de nos jours.
Ou alors il dit vrai et je suis folle à lier, irrécupérable.
Malade. Malade mentale. Fichue.
Si mes parents apprennent ça ! Ou Mathieu! Diagnostiquée bipolaire par un psy expert du genre. Déjà que personne ne m'aimait quand on me pensait normale.
Génial. Ma pauvre Stéphan'i'e. Tarée officielle. T'es peut être un danger pour la société. Le genre de personne qui se réveillera un matin pour zigouiller tout le monde.
Je l'aurai bien zigouillé lui, le psy. Une balle dans la tête. En plein front. Un gros trou béant dans sa face de rat.
Mon souffle devient court. Mon cœur me fait mal.
Respirer. Happer une goulée d’air. Vite. Une autre. Rentrer à la maison boire un verre.
Grossière erreur que cette visite. Fournisseur légal de drogue moderne.
Mort cérébrale. Il veut ma mort cérébrale. M'empêcher d’exister en tant que moi au profit d'une créature à son image, lisse, normée, parfaite.
Tueur de personnalité. Assassin. Promoteur de vie aseptisée.
Me réduire en esclavage par des psychotropes ! Me faire prendre des vessies pour des lanternes : une vessie est une vessie, une lanterne est une lanterne.
Mes poumons vides vont imploser.
Respirer. Happer une goulée d'air. Vite. Une autre. Rentrer à la maison boire un verre.
Ne plus jamais voir un psy. Ne plus jamais me laisser traiter de folle. Si ce qu'il dit est vrai, ma vie entière n'est qu’une mascarade. Non, non !
La mascarade c'est lui. La plus grande mascarade de tous les temps. 

Charles Feit


Charles est un jeune ingénieur. Et auteur d'atelier. Il raconte le réel, l'ordinaire en maniant l'absurde et la dérision. Il ose raconter les petites gens, les patrons. Et dire ce que les gens taisent. Caustique et tendre, il aborde l'écriture en inscrivant celle-ci dans la difficile oralité. Au final, de smoments d electure savoureux qui déclenchent l'hilarité à l'atelier - Joelle Guillais

Charles a l'âme d'un pur chroniqueur satirique. Tantôt acide, tantôt caustique, ses coups ne sont jamais distribués au hasard. Et, à l'atelier, ils font souvent mouche. Voyez plutôt. (D. Marchand)

Ce texte a été sélectionné par Benjamin Bellecour, directeur du festival d’écriture contemporaine sur le thème du Fait divers en janvier 2011


Les bons faits divers n'existent plus

            Le matin, je cherche dans les journaux le fait divers qui me fera bander, mais le fait divers c'est plus ce que c'était. Avant fallait au moins tuer quelqu'un et être original, y'avait du lourd, du gras, dans le style : « il massacre sa famille avec un économe ». Là on sentait toute la détresse, le gars poussé à bout. Faut des nerfs pour planter sa femme et les mioches avec un épluche légume. Maintenant on préfère les héros, je lisais encore y'a pas longtemps: « un enfant, tombé du septième étage, est rattrapé par un passant ». On est content pour le mouflet, mais faut avouer qu'on est pas dans le passionnant. Sinon les faits divers racontent des gamins qui cassent tout, et là on tombe dans la propagande pour faire peur, et je me dis qu’on mérite mieux que ça.
            La façon de relater les accidents de nos jours ça me rend malade, avant y'avait du détail, je visualisais la scène, maintenant on lit : « Accident camion-voiture, deux morts trois blessés, la fermeture de l'autoroute provoque un embouteillage de vingt cinq kilomètres », c'est plus les morts le problème, mais les emmerdements à cause de ces cons qui se tuent en bagnole. Du coup, je fais travailler mon imagination pour retrouver un truc un peu vivant : « Le véhicule s'empale sous la remorque du camion, les passagers avant décapités, les trois enfants à l'arrière sauvés par leur petite taille ». Là on a du vrai, du pris sur le vif, on sent que le gars serait allé sur place, il aurait vu la cervelle sur le bitume. Avec « deux morts, trois blessés », y'a pas d'âme, il se contente de recracher un bout du rapport de police. Pour un bon fait divers faut aussi un bon gratte-papier, pas un marlou de journaliste qui va faire le beau dans les réceptions du maire ou qui se prend pour un grand reporter en allant en banlieue. Le pisseur de brève doit fouiller les poubelles et connaître la flicaille du coin, le bleu de base, celui qui tourne au gros rouge dès dix heures.
            Le bon alcolo, celui qu’avait du potentiel dans le fait divers, il était surtout sur les routes, mais pour mériter quelques lignes, il devait taper dans le score de haut niveau. À présent, ça se résume au mieux à un listing des loustics chopés par la patrouille. Les contrôles de police s'apparentent à la pêche  industrielle, ils déploient le filet et attrapent tout ce qui passe. A la grande époque, ils ferraient au hasard, de l'artisanal, et quand ils tombaient sur un gros poisson, du style quatre grammes au volant d'un dix huit tonnes, lui il avait le droit à un papier. J'en ai même vu en photo, c'était réservé aux vraies stars de la bouteille, avec la bleusaille qui posait aussi à côté du trophée, le tout en belle place dans le canard. En plus les faits divers sont noyés dans la masse, faut les dénicher parmi les inaugurations à la con, les horaires de la piscine municipale, et les trombines des élus, et eux dès qu'ils pètent un coup ont leur fait un place dans le torche-cul.
            Avec la pêche artisanale, le poivrot en liberté produisait du fait divers. Faut pas se voiler la face, la picole ça ouvrait des perspectives pour le pétage de plombs. Les gars avaient pas peur de régler les problèmes de voisinage à coup de hache ou de fusil, du bel article ça faisait. Les gaillards vinassés comme il faut, ils montaient à quatre pattes dans les voitures en sortant des bistrot, arrivés à la maison, ça déchainait les passions, et de temps en temps on obtenait de l'insolite, de la zigouille à coup de marteaux, du matraquage à coup de saucisson sec. Du pain béni pour les grattes papiers et les amateurs comme moi.
            Aujourd’hui, au pire, ils perdent leur permis, c'est malheureux à dire mais le contrôle de police a tué à la source une partie des bons faits divers. Heureusement il reste encore quelques  tarés, déglingués ou frappadingues qu'ont pas besoin d'eau-de-vie, naturellement ils peuvent massacrer, de taper sans raison dans le tas. Merci à eux, sinon je m'ennuierais le matin.

9 mars 2011

Louisa Lenezet

Louisa Lenezet a grandi dans un ailleurs. En banlieue. Il y avait un café. Et derrière la cloison de ce café, il y avait Louisa avec ses sœurs et ses frères. Louisa a attendu longtemps avant de croire qu’elle pouvait écrire. Et nous séduire. Avec une écriture retenue traversée d’émotions qui nous touche juste à la pointe du cœur. Ses textes sont précieux. J’aime les donner à lire - Joelle Guillais



L’ESCALIER DE BOIS

Je me retourne, les images sont floues, embuées de sentiments, elles me traversent le corps, défilent de chaque côté de ma tête à reculons. Je passe au dessus du temps et je reviens à mes premiers pas pour retrouver l’odeur de l’escalier de bois. D’où venait-elle cette odeur de bois ciré ? Une énigme, car pour mes parents c’était une invention de ma part. L’appartement attenant au café était de plein pied ; chez Carmen la nourrice en Picardie où maman m’avait laissée dans mes premières années, l’escalier était en bois mais n’avait pas de rampe ; le mien si. Une belle rampe d’une propreté brillante, en bois de chêne légèrement piqué. J’escaladais les marches à quatre pattes et me dressais d’un bon pour examiner de la balustrade le va et vient autour de moi.
            Depuis, des escaliers j’en ai monté et descendu de toute sorte, mais jamais, jamais je n’ai retrouvé ce parfum si indéfinissable : il sentait la cire et le pain chaud, il sentait la douceur qui manquait à la maison et lorsque cette odeur monte et m’envahit, tout s’apaise et mon âme devient joyeuse.


ZERO ET RIEN

            Zéro en calcul, en français, zéro de conduite. Agrippe-toi au un ou au deux, lui disait-on le zéro c’est  rien.  Zéro c’est différent de rien, parce que son zéro à elle, il vaut quelque chose. Il fallait qu’elle en face des efforts, qu’elle se creuse la cervelle et l’autre lui dit que  c’était zéro. A non ! Il n’a pas dit que c’était zéro,  il a dit que çà ne valait rien. Elle sourit,  elle aime le rien,  pas le creux ni  le vide mais  le nu prêt à tout. Le nulle part entre le jour d’avant et le jour d’après c’est bon, ce n’est pas froid, pas glacial,  çà tient chaud.
             C’est facile le rien, plus facile que le zéro, elle vient de quelque part, on lui dit. Elle ne veut pas. On nait toujours de quelque chose où de quelqu’un. De la terre du ciel, de la mère et du père ? Elle ne veut pas. Alors tu ne laisseras rien ? Elle aimerait bien laisser, mais son père et sa mère qu’est-ce qu’ils lui ont laissé ? Ben la vie tient. Elle dit la vie, oui la vie, ce n’est pas rien. .
           
            Elle ne sert à rien ? Vous servez à quelqu’un où à quelque chose ? lui dit-on. Elle voudrait être une mouche qui se colle sur la confiture, se cogne les ailes contre la vitre et tombe. Alors plus rien, elle resterait au niveau zéro, au sous-sol ? Non, pas au sous-sol, elle aime la lumière.