Atelier d'écriture !
Vous avez dit atelier d'écriture !
Mais que fait-on aux ateliers d'écriture et qui sont ces gens qui les fréquentent ?
Mystère et boule de gomme !




Aux ateliers Mot à Mot, les auteurEs fabriquent leur écriture. Et signent des textes littéraires d’un genre inédit, improvisés dans un élan de créativité et de performance; des textes vierges de séduction éditoriale ou de préoccupations commerciales.
Ici, vous découvrirez un travail de qualité qui ne doit pas rester clandestin. Vous rencontrerez des auteurEs, des styles qui s’inscrivent dans la diversité des ateliers.

19 mars 2011

Maya


Maya E.K est née à Beyrouth. Elle a 33 ans. Ici, elle est en exil. Portfolio manager dans un grand groupe d’assurances, elle gère d’importantes finances. Se sent responsable.  Et revendique de donner du sens à ses écrits. Elle n’aime pas les excès de l’esthétique littéraire et cherche le mot juste pour taper fort comme avec ce texte grave qu’il faut lire car il traduit de nouvelles pratiques qui doivent être dites au plus vite. 


DE MASQUE EN MASCARADES

Le plafond baisse d’un cran. Je retiens quelques larmes mais laisse échapper un gargouillis hystérique. Il martèle des mots durs, inacceptables : angoissée, obsessionnelle, bipolaire. Sa manière de prononcer mon prénom m'insupporte, en appuyant exagérément sur le 'i'. Stéphan'i'e. Le reste de ses paroles se noie dans un tumulte intérieur. La colère monte, irrépressible. 'La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’allumettes' l’affiche placardée partout dans le métro me vient encore à l'esprit. "Du lithium". Petit con. Les yeux fermés, je l'imagine mort. Comme ça, là tout de suite. Hop ! Une crise cardiaque. J'appellerais les secours mais il serait trop tard. Il resterait affalé sur le sol du bureau où il débite ces horreurs.
"Vous avez besoin d’aide Stéphan'i'e."
Quatre vingt euros la séance. Pour m'entendre dire que je suis folle. Tarée. Pas normale quoi ! J'ai trop cuit dans le ventre de ma mère, je suis une composition chimique mal dosée. Les larmes jusque-là contenues s'en donnent à cœur joie. On commence à me regarder de travers dans la rue. Bipolaire! S'ils savaient, ils partiraient tous en courant ! Je suis pourtant normale merde, mène une vie ordinaire. D’accord, je courais dans les correspondances du métro à l'époque de Mathieu, pour le rejoindre plus vite mais, et alors ? Si on aime intensément, alors on est fou ? Problèmes de motivation au boulot, d'intégration dans la société. Pardon, pardon, si je ne saute pas de joie a l'idée de trimer quarante ans pour payer un "deux pièces". "Deux pièces" qui finirait par me servir de cercueil, alors que j'aurai perdu ma vie dans le néant d’une entreprise, à promouvoir de la lessive en poudre. Merde alors. Les personnes qui prennent ce type de médicaments sont en général schizophrènes, paranoïaques ou enfermées quelque part. Pas moi, pas moi
Ce salaud me croit folle. Il me condamne sans appel. Pourquoi ? Qu’est ce qui lui en donne le droit ? Un bac plus 4 ? +5 ? +10 ? Petit chauve appliquant une doctrine arbitraire dictée par ses livres de psychologie dans le secret espoir de m'emprisonner dans une case. Parce que je ressens des émotions XXL quand seuls les sentiments fadasses sont tolérés de nos jours.
Ou alors il dit vrai et je suis folle à lier, irrécupérable.
Malade. Malade mentale. Fichue.
Si mes parents apprennent ça ! Ou Mathieu! Diagnostiquée bipolaire par un psy expert du genre. Déjà que personne ne m'aimait quand on me pensait normale.
Génial. Ma pauvre Stéphan'i'e. Tarée officielle. T'es peut être un danger pour la société. Le genre de personne qui se réveillera un matin pour zigouiller tout le monde.
Je l'aurai bien zigouillé lui, le psy. Une balle dans la tête. En plein front. Un gros trou béant dans sa face de rat.
Mon souffle devient court. Mon cœur me fait mal.
Respirer. Happer une goulée d’air. Vite. Une autre. Rentrer à la maison boire un verre.
Grossière erreur que cette visite. Fournisseur légal de drogue moderne.
Mort cérébrale. Il veut ma mort cérébrale. M'empêcher d’exister en tant que moi au profit d'une créature à son image, lisse, normée, parfaite.
Tueur de personnalité. Assassin. Promoteur de vie aseptisée.
Me réduire en esclavage par des psychotropes ! Me faire prendre des vessies pour des lanternes : une vessie est une vessie, une lanterne est une lanterne.
Mes poumons vides vont imploser.
Respirer. Happer une goulée d'air. Vite. Une autre. Rentrer à la maison boire un verre.
Ne plus jamais voir un psy. Ne plus jamais me laisser traiter de folle. Si ce qu'il dit est vrai, ma vie entière n'est qu’une mascarade. Non, non !
La mascarade c'est lui. La plus grande mascarade de tous les temps. 

1 commentaire:

  1. Des questions, la rebellion : surtout ne pas ronronner dans son train-train quotidien...

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