Atelier d'écriture !
Vous avez dit atelier d'écriture !
Mais que fait-on aux ateliers d'écriture et qui sont ces gens qui les fréquentent ?
Mystère et boule de gomme !




Aux ateliers Mot à Mot, les auteurEs fabriquent leur écriture. Et signent des textes littéraires d’un genre inédit, improvisés dans un élan de créativité et de performance; des textes vierges de séduction éditoriale ou de préoccupations commerciales.
Ici, vous découvrirez un travail de qualité qui ne doit pas rester clandestin. Vous rencontrerez des auteurEs, des styles qui s’inscrivent dans la diversité des ateliers.

28 févr. 2011

Oriana Gatica

Auteure à l’atelier depuis un an et demi,  Oriana Gatica  a le talent d’arracher l’écho poétique des mots les plus ordinaires en jouant de l’ellipse ou de la répétition. Les mots se comptent. Et comptent pour conter des histoires graves selon une esthétique littéraire talentueuse. On retient son souffle en lisant cette écriture d’une rare séduction. Joëlle Guillais
  
« Lorsque les matins sont de glace », tel est le titre de son recueil de textes.


                                                                  
                                                               L'espace d'un rêve
             
J’ai souvent vu la neige ne pas tomber en pleine mer, ne pas couvrir les dunes, j’ai souvent vu la neige ne pas venir à moi, se poser tout en haut sur le lointain, dans les sommets. Je me suis toujours dit qu’un jour elle oserait bien descendre, qu’elle ferait preuve d’un peu d’humilité. Et je me suis préparé pour ce jour sans date.
On me dit que c’est bien tropical, bien trop pour qu’on puisse y voir la neige tomber à pic, se déverser, pleuvoir de blanc en blanc. On me dit que je ferais bien mieux de goûter la chaleur et le crissement du sable, de savourer nos beaux fruits bleus.
Pourtant, je me suis préparé quand même, j’ai reposé le temps à plus tard, mais je me suis préparé au cas où. Au cas où la neige tombe en mon pays, sur les fruits bleus, les dunes, la chaleur, au cas où elle daigne simplement recouvrir.
On se moque de moi, « une canicule », dit-on, « une canicule neigeuse, en ce pays ! ». Je réponds que ce n’est pas plus fou que ce même paysage dépeuplé de son hiver, que ce n’est pas plus fou que cet incendie de vert sans cesse renouvelé, cet éparpillement de vert sur du vert, de bleu-vert sur du turquoise, de cyan jusqu’à saturation de la rétine.
Suis-je donc seul à vouloir éteindre rien qu’une fois la couleur du paysage, à vouloir recouvrer ma déraison ?
Alors j’attends ; tandis que les autres dorment, détiennent leur regard sur le connu, moi seul j’attends que la neige inonde la mer, défriche les dunes, taise le paysage, recouvre d’incertitudes nos terres visibles. J’attends, muni de ma seule patience, l’espace d’un rêve.

                                                          Un voisin

Trois fois la porte verrouiller, quatre fois les fenêtres closes, deux fois dans la nuit se lever, une fois hurler, vingt fois se taire, marcher toujours le regard derrière soi. Le matin, laver sa nuit d’angoisse, irriguer son courage pour franchir le seuil.
Tous, ils savent, dans la résidence. Pas un n’ignore, pas un ne parle. Porter plainte contre le temps passé, le temps qui crie jusque dans la chair, réclame son dû de justice. Porter en soi la plainte au-delà du seuil.

 Le bourreau vit encore. Dans la même ville, et cela déjà eut été insoutenable, mais dans le même immeuble, sur le même palier, elle l’a vu s’installer.
Parfois, elle se dit qu’elle n’est pas bien certaine mais sa voix, la même, le fracas de son pas sur le sol. On ne se trompe pas sur ces choses-là. Parfois elle se dit qu’elle n’est pas bien certaine de pouvoir jour après jour.
Il ne l’évite pas, prend l’ascenseur, la salue avec une bonhomie indécente. Se souvient-il bien de son visage à elle, de ses cris ? Il y en eut tant d’autres à l’époque, de cris, de voix qu’elle entendait résonner à travers les murs, tant d’autres corps rompus, méconnaissables. Elle, prisonnière, nue, les yeux bandés, lui qui vérifiait les sangles, qui interrogeait la chair par décharges électriques, des heures, des jours, des mois durant, sans sourciller, patient à l’ouvrage.
Cet homme simple, au sourire débonnaire, ni mieux ni pire que n’importe quel autre, insignifiant bourreau, légitime tortionnaire, maintenant installé dans l’appartement d’en face.
Il y a longtemps qu’elle se souvient, longtemps qu’il a oublié. Ils vivent désormais l’un en face de l’autre, se croisent le matin, rentrent chez eux le soir. Elle pourrait lui cracher au visage, le tuer froidement, le séquestrer que cela ne rachèterait rien, ni le passé des tortures, ni les brûlures du présent.

Tous, ils savent, dans le pavillon. Pas un n’ignore, pas un ne parle, on a bâillonné la mémoire et sur le poids de la balance, on a mesuré la justice à l’aune de l’oubli. Alors elle se contente de.

Trois fois la porte verrouiller, quatre fois les fenêtres closes, deux fois dans la nuit se lever, une fois hurler, vingt fois se taire, marcher toujours le regard derrière soi. Le matin, laver sa nuit d’angoisse, irriguer son courage pour franchir le seuil.

6 commentaires:

  1. Qui est donc cette bouleversante ORIANA ? ses textes sont presque sublimes, définitivement poétiques, ciselés, comment continuer après de tels textes d'atelier ? qui est-elle ? que fait-elle ? petit bout d'Eluard dans ma journée "sur mes cahiers d'écolier j'écris ton nom LIBERTE"...il faut qu'elle arrête tout ce qu'elle entreprend pour n'entreprendre que son délicat ouvrage littéraire. Je suis très émue par la poésie de ses textes et puis avec un si joli prénom et un si joli nom n'est-on pas prédestiné ?

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  2. Un petit mot pour féliciter Oriana Gatica. Des textes émouvants, surprenants qui nous laissent sans voix. J'adore le texte sur Paris, il nous balade dans cette ville avec ses yeux .Dîner du soir, Les obsèques. Fait divers que de beaux textes. Franchement BRAVO.

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  3. Continue, Oriana.

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  4. Une de mes écritures préférées :-)

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  5. Un voisin, qui est pour moi de la même veine que Maus. Fort en résonnance, fort en douleur qu'il ne faut - surtout pas - oublier. Merci Oriana.

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  6. Je dirai même plus, une écriture qui ressemble à de la dentelle, sensuelle, émouvante, délicate. Astrid a raison, arrête tout et consacre toi à l'écriture!
    Continue en tout cas !
    Djenane ... encore une Fan !

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