Impudente et redoutable, sans concessions avec elle-même et le monde qui l’entoure, Sophie Coste Clérico siffle avec les mots et persifle. Elle est à l’écrit ce que Bretecher est à la BD. D’une tonalité percutante, elle écrit des textes vrais, hilarants et pathétiques. Avec des saillies qui ne nous laissent pas indemnes.
Voici « Des hamsters et des hommes », un fait divers authentique revu par Sophie Coste qui est aussi journaliste et mère de trois bambins.
Des hamsters et des hommes
RTL : Le 7 Juin 2007 à 7h15.
Le directeur de rédaction est assis sur le bureau et balance ses jambes en cognant de ses talons l’angle de la table à intervalles réguliers. C’est exaspérant. Il est exaspérant. Ils sont tous exaspérants les journalistes en salle de « rédac », comme ils disent. D’ailleurs c’est d’un ton exaspéré qu’il lit la dernière dépêche AFP :
« Hier soir un homme d’une cinquantaine d’années et son compagnon ont été admis aux urgences de la Salpêtrière à l’unité de brûlures sévères. Le compagnon de l’homme, Kiki Frazer, a expliqué à l’équipe médicale en place qu’ils avaient pratiqué un jeu sexuel qui cette fois a mal tourné.
À l’aide d’un speculum obstétrique, il a écarté les parois de l’anus de son partenaire, puis lui a enfoncé dans le rectum le tube central en carton d’un rouleau de Sopalin.
L’homme a lancé « À l’abordage ! », signifiant à l’autre que le jeu pouvait commencer. Il a alors introduit dans le tube un hamster.
Quelques minutes plus tard, l’homme a crié « Rentrez le pavillon » pour que le jeu prenne fin.
« Après coup craquer l’allumette a été ma grosse erreur, mais j’essayais seulement de récupérer le hamster », a déclaré Kiki Fraser.
Ce dernier a donc craqué une allumette afin de repérer le rongeur en pensant que la lumière pouvait l’attirer. La béance de l’anus associée à des gaz résiduels a provoqué un appel d’air et un violent retour de flammes a jailli du tube embrasant sur le champ les cheveux de Kiki et le brûlant très sévèrement à la figure. La combustion a par la même incendié le pelage de la petite bête qui à son tour a enflammé une poche de gaz un peu plus loin dans l’intestin, propulsant le rongeur à l’extérieur comme un véritable boulet de canon. L’impact du petit animal a littéralement fracturé le nez de Kiki Fraser.
Son compagnon est actuellement en soin intensif, la paroi intestinale calcinée au second degré. Son état est préoccupant. »
Dépêche Agence France-Presse (Source : Los Angeles Times)
- « Juliette c’est pour toi, tu t’en occupes… »
*
QUINZE JOURS PLUS TARD.
- « Putain Juliette, qu’est ce tu fous ! Je te rappelle qu’on a obtenu l’interview en exclusivité ! C’est une star maintenant ! Il t’attend en salle de réu ! Allez hop hop hop ! »
Dans la salle de réunion, le hamster tourne en rond l’air anxieux. Il est en compagnie de son attachée de presse. Il est encore plus petit que je ne l’avais imaginé. Son pelage est en effet bien altéré. Je ne peux m’empêcher de compatir en constatant son état ravagé.
- Bonjour Popeye. Je peux vous appelez Popeye ?
- Oui.
- Si vous êtes d’accord, je vais enregistrer l’interview…
Il jette un œil à l’attachée de presse qui opine.
- OK.
- Vous souhaitez une mangeoire avec un peu d’eau et quelques graines ?
- Non merci ça ira, j’ai encore quelques réserves, dit-il en plaçant son long doigt griffu à l’intérieur de sa bouche. Il tire sur la commissure et l’incroyable élasticité de sa joue m’offre le spectacle d’un garde manger rangé comme un frigo : les pelures de carottes en bas, au milieu quelques petits broyats d’insectes, en haut, les céréales.
- Ok, alors on peut commencer. (Je sors le dictaphone et appuie sur REC…)
- Tout d’abord pourriez-vous vous présenter pour nos auditeurs qui ne vous connaissent pas encore…
- Je suis un hamster nain de la race des « Phodopus Roborovskii », je descends d’une grande lignée de la province du Shaanxi en Chine. Là bas on nous appelle les « Mi-Tsang-Er » ce qui signifie stoker du grain.
- Il y a deux semaines, vous vous êtes retrouvé au centre d’un fait divers qui a fait réagir en masse l’opinion et soulève actuellement nombres de polémiques. Vous viviez avec deux hommes et participiez à leurs jeux sexuels… Pour rentrer dans le vif du sujet, si je puis dire… La dépêche AFP stipule que « cette fois, le jeu a mal tourné ». Cela signifie donc que cette pratique était courante ?
- Bien sûr, tous les hamsters le font.
- Pourtant votre communauté semble vous fustiger ?
- Oui. Et je le regrette amèrement. J’ai reçu des témoignages insultants, parfois violents. Les hamsters sont très durs avec moi. Mais c’est de l’hypocrisie pure et simple ! Si on devait renvoyer tous les hamsters qui pratiquent ce genre de choses, croyez moi, il y aurait beaucoup de cages vides. Il ne faut pas stigmatiser. Certains feraient bien mieux de balayer le fond de leur cage plutôt que celle du voisin. La critique, art aisé, se doit d’être constructive, je ne fais que reprendre les propos de Boris Vian et sans vouloir faire pédant, j’ajouterai que certains feraient bien mieux de se taire.
- Vous étiez donc totalement consentant ?
- Parfaitement. Et c’est pour le dire haut et fort que j’ai accepté de vous accorder cette unique interview. Nos relations ne se limitaient pas qu’à ça. Ce serait très réducteur en effet car s’il y avait beaucoup de désir, et de caresses, il y avait des moments de réflexion, d’échanges d’une grande intelligence. Donc ce désir s’exprimait par les caresses comme la pensée par le langage, ce n’est pas moi, c’est Jean-Paul Sartre qui le dit.
- Vous semblez très cultivé…
- Je n’ai aucun mérite. Vous savez, mes amis tapissaient ma cage de journaux, ils sont abonnés à plusieurs revues littéraires, Books, Lire, Le Magazine Littéraire… Philosophie Magazine, alors forcément ça aide. Oui j’ai pissé et déféquer sur de Grands Hommes !
- Le rapport médical stipule que les analyses de « vos amis » ont révélé des traces de stupéfiants. Vous confirmez ?
- Ce soir là, ils avaient les narines aussi chargées que les joues d’un hamster sauvage une veille de HLD.
- HLD ? Qui signifie ?
- Hibernation Longue Durée.
- Ils prenaient souvent de la drogue en grande quantité ?
- Parfois.
L’attachée de Presse tapote nerveusement la pointe de son stylo sur la table :
- « Next ! On change de sujet ! »
- Avez-vous pressenti que les choses allaient mal tourner ?
- Je n’ai pas compris immédiatement le coup de l’allumette. Le souci c’est que nous, les hamsters Roborovskii, avons un champ de vision extrêmement court contrairement au Campbell ou à l’Hiver Blanc. En revanche, nous avons un odorat surdéveloppé, j’ai donc capté assez vite que ça sentait le gaz et le brûlé. J’ai immédiatement effectué un demi tour, mais les flammes ont jaillies à l’intérieur du tube de Sopalin et je me suis retrouvé prisonnier de ce brasier. C’est à cet instant que j’ai moi-même pris feu et que l’appel d’air m’a propulsé à l’extérieur.
- Justement, Sopalin a décidé de faire de vous sa nouvelle mascotte et de vous décliner en logo. L’opinion crie au mauvais goût qu’avez-vous à répondre à cela ?
- Dans un monde régit par l’argent, le profit et la sur médiatisation du trash, je ne vois vraiment pas qui ça pourrait choquer. Je répondrai à mes détracteurs et aux objecteurs de conscience qui eux-mêmes profitent du système, et une fois de plus, pardonnez moi de citer des grands hommes mais à la manière d’Anatole France, je dirai : « J’ai des ennemis et je m’en vante. Je crois les avoir mérités. »
- Justement, en parlant de profiter du système… Demain vous allez vous laissez filmer lors de votre tonte…
- Je souhaite simplement par cet acte significatif et engagé, montrer que je n’ai pas le statut de victime que l’on me prête depuis deux semaines. Je suis tout à fait libre et responsable de mes actes !
- Vous avez tout de même accordé l’exclusivité télévisée au plus offrant… Vous mettre en scène de cette manière, vous ne trouvez pas ça un peu trop Britney Spears ?
L’attachée de presse fulmine :
- Next ! Hors sujet ! Il vous reste deux minutes…
- Pour conclure quels sont vos projets d’avenir ?
- Je travaille sur un projet de téléréalité avec une grande boîte de production. Six hamsters et six hommes enfermés dans une énorme cage, avec grandes roues, labyrinthes, toboggans et piscines…Filmés 24/24h… Ça va faire le buzz…
- Merci Popeye.